Château, Seigneurie et Domaine

de Marcoux

 

 

II. L'EPOQUE DES SEIGNEURS « FORAINS » (1633-1812)

 

Dans les compoix des XVIIe et XVIIIe siècles, le qualificatif de « forain » est appliqué aux propriétaires d'une parcelle (ou d'une seigneurie) qui ne résident pas sur place, situation qui s'applique presque parfaitement aux seigneurs de Marcoux après 1633. En effet, si l'identité des seigneurs ne fait pas de doute, celle des occupants réels du château est plus incertaine au cours des 180 ans qui suivent.

Les Lhermuzières cessent assez vite d'y habiter, du moins de façon permanente : le fils de Jean, « maître et propriétaire du domaine de Meynard en 1614 », après avoir vécu, entre 1619 et 1633, dans la seigneurie de « Fongiraud » (qui semble réservée à l'aîné en attente d'héritage, située dans le « baillage de Montfalcon, diocèse de Valence » ?), préfère finalement la maison de Marconnet (paroisse de Rochepaule), au confluent stratégique du Doux et de l'Eygueneyre et qui a sans doute vu l'arrivée mouvementée de Jean-François Régis en 1636. Son petit-fils Bernardin, après avoir reçu Meynard en 1652, habite Marcoux de 1653 jusqu'à son mariage en 1658, avant de pouvoir enfin récupérer le château ancestral de l'Hermuzière. Sans doute certains fils ont-ils eu la jouissance du château (tel Jean, entre 1643 et 1647, puis Jacques de 1647 à 1653, tous deux fils de Gaspard) et les seigneurs viennent-ils y faire des séjours plus ou moins fréquents ? Ce qui est certain, c'est que la gestion de la seigneurie a régulièrement été confiée à des fermiers ("grangers") s'occupant autant d'organiser l'ensemble (notamment la collecte des diverses redevances dues par les paysans dépendant du seigneur) que de produire directement. Cette gestion se limite au noyau principal de la seigneurie (qualifié dans les trois baux retrouvés de « fief et domaine annexé et joint ensemble au lieu de Marcoux et dépendances »), les terres plus au nord étant louées indépendamment.

 

 

L'intermède de la Franchière (1635-1639)

Parmi ces « fermiers », le cas d'Etienne de la Franchière est sans doute très particulier. Sa noblesse ne lui interdit certes pas d'arrenter le domaine et son moulin à Gaspard de Lhermuzières, le 15 janvier 1635 (par un contrat de « vente de fruits » assimilé en fait à une simple location), il ne le fait cependant pas comme un simple "granger" mais plutôt en entrepreneur agricole. Se chargeant de gérer la seigneurie contre le paiement d'une rente et d'une part des "fruits", ils s'occupent aussi de ses propres domaines confiés à des "grangers" : deux dans le mandement de Dunières (Fraisse vers Riotord, le plus vaste et le plus lucratif grâce à l'activité d'engraissement des bovins, et « Berrier ») et un dans celui de Beaudinet, aux Ruches, qui complète en quelque sorte celui de Marcoux vers l'est (voir carte des biens fonciers annexée). Ce domaine des Ruches, formé de 25 parcelles, couvre en tout 17 à 18 ha ; à 100% roturier il comporte les _ de sa surface en champs (de bonnes tailles avec 113 ares de moyenne) et seulement 10% en près (souvent de petites tailles avec une moyenne de 29 ares). En 1672, ce domaine des Ruches est évalué à 5 565 livres. Si l'on ajoute aux trois domaines (environ 60 ha) et à d'autres fonds isolés détenus par Etienne de La Franchière celui de Marcoux, on arrive à un ensemble qui avoisine les 150 ha. L'importance de cette entreprise agricole ne l'empêche pas de remplir ses obligations de gentilhomme de la maison du marquis Louis de Saint-Priest (1578-1641), seigneur de Saint-Etienne. De plus, la location de Marcoux inclut le château, où il s'installe et y loge sa jeune épouse, Louise de Romezin, à partir de 1638 ; certains meubles de Gaspard de Lhermuzières sont restés sur place. Le logement du granger est occupé par le métayer du domaine.

cf.carte des biens fonciers

Grâce à l'inventaire dressé entre le 9 et le 16 juillet 1639, après le décès d'Etienne, nous pouvons nous faire une idée (la première et la seule !) de l'agencement du château et de ses éléments de confort quotidien ; une idée incomplète puisque manquent les biens de l'épouse. Ce qui suit n'en est qu'un bref résumé, le texte faisant plus de 10 pages manuscrites auxquelles il faut en ajouter 70 consacrées aux documents conservés par le défunt.

cf. le texte intégral de l'inventaire : Inventaire après décès réalisé en juillet 1639 à Marcoux.

Accompagné par Louise de Romezin, le lieutenant du mandement de Montregard commence son inventaire par la "chambre basse appelée cuisine". Cette pièce, sans doute assez obscure malgré deux chandeliers en laiton de 4 livres et demi, est éclairée par la monumentale cheminée (toujours présente) qu'occupent deux crémaillères, un chaudron de 28 livres, deux landiers (chenets) complets pesant 52 livres, deux broches, une poêle en fer pesant 10 livres, un gril en fer pesant 2 livres. Les meubles de cuisine semblent se limiter à une vaste table ronde en noyer avec six piliers et marchepieds située sans doute au centre de la pièce et à un « cabinet » en pin tout neuf, situé à gauche de l'entrée et fermé par une grande porte à barres et serrure, qui ne contient que quelques pains (sans doute produits à partir de la maie à pétrir et du tamis à farine situés dans la tour d'angle, le four étant peut-être aménagé dans la cheminée). Les nombreux instruments de cuisine et la vaisselle indiquent beaucoup mieux la fonction principale du lieu : en fer, cuivre ou laiton, on trouve une grande variété de récipients depuis des pots à feu de toutes tailles jusqu'aux bassines de formes et fonctions diverses en passant par un seau à eau de cuivre rouge et une cruche en fer de peu de valeur pesant 1 livre ; la vaisselle est en étain (mais souvent les plats en terre cuite ne figurent pas dans ce genre d'inventaire) et se compose de sept plats d'étain de 24 livres, 8 assiettes d'étain de 20 livres, un pot d'étain tenant quatre "feuillettes" auxquels il faut ajouter d'autres vaisselles du même genre trouvées à l'étage (un bassin en étain pesant 5 livres et une salière de 5 "cartes", une aiguière d'étain de 2 livres, sept plats et une assiette d'étain pesant 25 livres, plus un plateau de laiton de 12 livres). L'alimentation de base ne se limitant pas au seul pain, on trouve aussi l'indispensable mortier à sel ainsi que les inévitables tonneaux de vin (placés sur le côté droit de la cheminée, deux tonneaux vides de 6 "barraux" chacun à demi usé et un autre tonneau plein de vin contenant 6 "barraux", s'il s'agit du « barral » du Puy cela représenterait environ 300 litres pour tenir jusqu'aux prochaines vendanges !). Cette « cuisine » sert aussi de chambre : elle possède un lit en noyer garni d'une paillasse toilée, d'un matelas en laine, de deux draps usés, d'une couverture en laine de Catalogne (de qualité) et d'un couvre-pieds avec une belle garniture. Un deuxième lit se trouve dans l' « autre chambre jouxtant la cuisine » (dans la grosse tour d'angle) mais appartient à Gaspard de Lhermuzières, sa garniture en revanche est enregistrée par le lieutenant (deux couvertures en tapisserie et un rideau de cadis rouge de peu de valeur). Les vêtements et les couvertures ne suffisant pas à garantir le minimum de chaleur nécessaire, on trouve aussi trois chaufferettes et une bassinoire en cuivre. Pour finir, il trouve deux gouges en fer "à fendre le bois" de 10 livres et une petite pertuisane dans la tour.

Le lieutenant monte alors "au second étage appelé la salle commune" dont la porte est fermée par un cadenas (avec sa clef). Cette pièce, lieu de vie et de « réception » des châtelains, est plus riche en mobilier. A côté d'un vieux buffet (à droite) et d'une table (les deux en noyer), appartenant aussi à l'ancien propriétaire et accompagnés de 6 tabourets et une grande chaise neuve en noyer, se dressent deux "garde-robes" en pin, à quatre portes avec six barres et serrure : celle à droite de la cheminée (disparue depuis) doit contenir les biens de l'épouse, l'autre renferme dans "son plus haut étage" quelques uns des vêtements et objets du seigneur de La Franchière. En fait la liste est assez médiocre : un manteau d'écarlate doublé en partie de peau, un pourpoint doublé de taffetas à demi usé, une casaque (manteau) de drap en "tournon" gris doublée en cadis couleur gris et noir, une paire de chausses, des bas et chaussettes usés ; mais peut-être faut-il y voir la conséquence d'une mort loin du château, au service du seigneur de St Etienne, ses effets n'ayant pas été ramenés à Marcoux. Dans les deux portes basses se trouve la vaisselle précédemment citée ainsi qu'une bouilloire de cuivre, deux coupe-liens en fer pour chevaux. Deux grands coffres initialement destinés à accueillir le grain (ces « graniers » en sapin sont fermés par deux planches coulissantes appelées "eicorelas", terme de patois utilisé par le lieutenant) ne contiennent en fait qu'un setier et une carte de blé, en revanche l'un d'eux sert d'armurerie au seigneur avec 5 arquebuses à rouet, un pistolet, une dague à coutiller, un mousquet et un canon de mousquet, une arbalète neuve en fer et six "montoires", une cuirasse en fer, une partie de son armement étant sans doute resté à St Etienne ; à l'époque Etienne de La Franchière était en plein préparatifs de départ pour la guerre en Roussillon au sein d'une compagnie de mousquetaire à cheval. Se trouve également à cet étage un troisième lit en noyer visiblement destiné aux maîtres des lieux garni qu'il est d'une paillasse de toile neuve, d'une couverture garnie de deux passements frangés en crépine de qualité, d'un traversin, de deux draps, de deux couvre-pieds. La nourriture n'est pas absente de cet étage avec dans un coin "trois cartières de lard" pesant 60 livres et deux autres tonneaux vides. Trois draps et une valise de cuir noir posés dans un coin complètent le tableau.

L'officier entre ensuite dans "la tour au coin de la salle" où il examine surtout un coffre de bois de noyer (appartenant à Gaspard de Lhermuzières) qui contient tous les titres et documents personnels d'Etienne de la Franchière. Le lieutenant se lance alors dans la rédaction de la liste exhaustive de plus de 200 documents : obligations, quittances, transactions mais aussi testaments, contrats de mariage et donations ainsi qu'un "petit livre non réglé de 85 feuilles" dont 17 pages contenant "un mémoire que ledit sieur tenait comme livre journalier de sa main". Il va y consacrer quatre autres jours (du 12 au 15 juillet), avant de pouvoir achever la visite du château le samedi 16 juillet.

Ce jour là, il monte "au troisième et dernier étage appelé le galetas ". Là, sur le côté droit, il trouve un autre "granier" en bois de sapin avec barres et serrure, pouvant contenir 40 setiers de "bleds" de la mesure de Montregard, mais dans lequel il n'y avait que treize setiers de seigle, environ un mois avant les moissons, ceci constitue une réserve assez conséquente pouvant permettre d'éventuels prêts ou ventes au prix fort.

Après le château, la visite se poursuit dans le bâtiment voisin (la "grange") composée d'une grange proprement dite (où le granger habite) et d'une étable : il n'y trouve rien ("aucun meuble, bétail, paille ou foin") appartenant au défunt, le bétail étant visiblement la propriété du granger. Puis il entre dans l'écurie où sont deux des chevaux qu'Etienne possédait : un alezan à long poil et un gris pommelé que le lieutenant laisse aux bons soins de Louise de Romezin (en vue de leur vente). Au-dessus de la grange il n'y a pas non plus de bétail ayant appartenu au maître des lieux, et rien dans le grenier au-dessus de l'écurie visité en dernier.

L'inventaire des lieux s'arrête là, même si l'officier de justice revient à Marcoux à la demande de Louise de Romezin le 5 août pour enregistrer d'autres documents qu'elle a récupérés, puis encore le 24 décembre pour noter l'accord de Louise de Romezin concernant la "passation de pouvoir" entre elle et son beau-frère Melchior de la Franchière, nommé tuteur de son neveu.

 

 

La gestion de Marcoux au XVIIe et XVIIIe siècles

 

On ne sait pas exactement quand Gaspard de Lhermuzières a récupéré le château (Louise de Romezin l'occupant au moins jusqu'à la fin de 1639-début 1640). En 1643, il semble avoir donné Marcoux à son fils Jean, il y a donc peut-être logé avant la campagne militaire qui lui fut fatale, en 1647. Gaspard a élu domicile en sa maison forte de Marconnet, centre de quatre à cinq domaines et associé à un moulin ; à sa mort en mai 1653, un inventaire y est établi qui présente de nombreuses similitudes avec celui de 1639.

 

En 1646 Anthoine Pettre (laboureur largement possessionné dans la région entre Saint-Bonnet et Tence, lié au Lhermuzières depuis au moins 1633) arrente le « domaine » jusqu'en 1652. Ce n'est qu'en septembre 1653 que Pettre liquide à l'amiable ce qu'il doit des 1 405 livres correspondant au quart des récoltes de l'année 1652 (30 setiers) et à ce que le contrat prévoit qu'il doit laisser en quittant le bail (14 setiers). A cela s'ajoutent 420 livres correspondant au prix de louage du domaine et 232 « en bétail et verger ». Ces conditions ont peut-être été aussi celles acceptées par Etienne de la Franchière en 1635. On peut tirer quelques enseignements de ces chiffres. D'abord que l'on a affaire à un domaine assez « classique » : la comparaison du chiffre des semences fournies à la prise de bail (14 setiers de grains par le preneur et autant par le bailleur qui en fait récupère cela sur le métayer sortant) avec celle de la production totale (4 fois 30 setiers soit 224 qx de seigle) indique un rapport de 1 à 4 et permet de déduire un rendement autour de 8,5 qx par ha conforme à ce qui existe ailleurs en Velay du XVIIe au XIXe siècles. Ces chiffres donnent donc une étendue de terres labourables d'environ 32 à 40 ha (en tenant compte du tiers de jachères annuelles) et un domaine entre 55 et 65 ha en prenant en compte la part des prés, pâturages et bois.

Cette surface représentent les « biens roturiers » et « nobles » du domaine de Marcoux, ces derniers sont donc d'environ 30 hectares, en effet, en 1691, ces « terres nobles » constituent la moitié du domaine de Mercoux selon les « conseillers politiques et juridiques des affaires de la communauté de Montregard » chargés d'établir la liste des nobles et de leurs droits dans le mandement. L'aliénation progressive de Meynard, achevée vers 1760, réduit l'ensemble foncier au seul domaine de Marcoux, c'est-à-dire environ 70 hectares. Ces calculs sont à prendre avec prudence, même s'ils s'appuient sur des études menées sur d'autres régions du Velay et s'ils montrent une certaine stabilité du domaine de Marcoux à travers les siècles (les chiffres de 1905 donne 70 ha !).

Le domaine de Marcoux assure au seigneur un revenu brut de 1 560 livres, décomposé en 910 livres pour le quart de seigle, 230 pour la part sur le bétail et le « verger » et 420 par la location en argent (dont « environ 200 livres » pour les terres nobles, selon le document de 1691). Le preneur payant la dîme, la taille et les éventuelles cens (aux seigneurs de Montregard), on peut dire que les frais du seigneur sont minimes. Il n'en va pas de même pour le laboureur-granger qui doit prélever les semences, les diverses taxes et cens et le loyer sur sa part des grains et du bétail ; au total, on arrive à trois parts approximativement égales entre les revenus du seigneur, ceux du granger et les charges diverses. Seule inconnue, le sort réservé au moulin de Marcoux : est-il affermé séparément ou alors le bail l'inclut-il comme c'était le cas pour celui signé par Etienne de La Franchière ?

A la suite d'Antoine Pettre, les nouveaux preneurs, Jacques et Pons Deffonds, signent dès le 29 octobre 1651 pour le prix de 464 livres et toujours un quart des "fruits" par an sur 6 ans à partir de 1652. Une série de quittances, établie par un notaire royal pour le compte de Marie Laurens, veuve de Pons Deffonds, qui a repris puis renouvelé le bail en 1658, permet de préciser certains aspects de cette gestion : d'une part on voit que, en l'absence du seigneur, c'est son gendre Charles de Figon qui encaisse et signe les quittances, d'autre part que le granger paye la taille du domaine au collecteur, laquelle varie entre 25 et 35 livres pour la période 1654-1658. Le dernier versement en nature se fait en décembre 1663, il s'agit d'une part des bleds de l'annéee : 5 setiers et 5 mestans un quart.

 

Après la mort de Gaspard, en mai 1653, son fils Bernardin continue de louer le domaine tout en vivant sur place encore quelque temps, même après la récupération du château de l'Hermuzière en 1656. « Gisant dans le lit malade à cause de deux grands coups d'épée qu'il a reçu sur la tête et craignant de mourir » il rédige à Marcoux, en 1657, un testament par lequel on apprend qu'il a à son service, au château, un valet, Claude Robègue (nom d'une famille de paysans des environs), et une chambrière, Marguerite Roche. Un chirurgien s'est déplacé jusqu'au château pour assister le mourant, qui choisit de se faire enterrer à Montregard. La veuve de Pons Deffonds hérite de 60 livres. En fin de compte, il se remet et meurt beaucoup plus tard, en ayant refait son testament.

Le 7 avril 1688, un certain « Jean Gamonnet de Mercoux », participe à l'assemblée chargée de la répartition de la taille dans le mandement, sans doute s'agit-il du granger du domaine, car il n'y a pas d'autre habitation en ce lieu. Ce patronyme se retrouve dans un hameau voisin (Rochedix).

 

Au XVIIIe siècle, on trouve la trace de certains grangers du domaine. Tel ce Pierre Patouliard qui, en 1723, se présente comme "laboureur habitant granger au domaine de Marcoux". Souffrant alors de "pneumonie et d'hydropisie qui l'empêchent de pouvoir agir", il rédige un testament qui, conformément aux formules en vigueur à l'époque, commence par des considérations sur l'inévitabilité et l'imprévisibilité de la mort et sur la vie éternelle ; "le signe de la Sainte Croix au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, les mérites de la mort et de la Passion du Christ, l'intercession glorieuse de la Vierge et celle des Saints et Saintes du paradis" sont successivement invoqués pour bien vouloir "colloquer et recevoir au royaume des Bienheureux son âme lorsqu'elle sera séparée de son corps". Remerciant la divine providence de lui avoir donné des biens, il décide de les partager entre ses neuf enfants pour éviter toute dispute entre eux : les quatre déjà mariés (à des enfants de grangers des environs) et dotés ne reçoivent chacun que 2 sols 6 deniers symboliques, on ne sait ce que reçoivent les autres, le document étant incomplet.

En novembre 1745, Claude Charroin, "laboureur habitant granger au lieu de Marcoux", afferme pour la deuxième fois "le domaine et fief, annexes joints audit lieu de Marcoux et dépendances, consistant en bâtiment de maison, grange, écurie, près, terres, bois" (toujours pas de moulin !). Il "signe" (en fait il déclare ne pas savoir signer) un bail de 6 ans débutant à la fête de Notre Dame en mars et s'achevant de même en 1752, soit "six récoltes entières et complètes de tous grains et autres fruits et bétails", pour la somme de 1 000 livres par an payée pour moitié à la Saint Martin et moitié aux Rogations. On est loin des 420 livres de 1645, peut-être la somme inclut-elle tout ou partie du versement du "quart des bleds" cité dans les contrats précédents, ou alors reflète-t-elle la forte augmentation des baux constatée un peu partout en France à l'époque. Charroin doit aussi s'acquitter, tous les ans, des charges du domaine et de la dîme pesant sur le domaine, fournir au seigneur 20 livres de beurre et 35 de fromages. Il est astreint à fournir 4 charrettes de paille qu'ils doit transporter jusqu'au col de Rouvey, dans la paroisse de St Pierre-des-Macchabées (l'actuel St Pierre-sur-Doux), à une bonne quinzaine de kilomètres de Marcoux, où le seigneur fera prendre le chargement pour le reste du trajet jusqu'à l'Hermuzière ; ce genre de charroi ne devait pas être très prisé du granger vue la dangerosité des routes de la région au XVIIIe siècle. Ces versements en nature sont évaluables à environ 120 livres par an. De plus, il s'engage à nourrir les chevaux du seigneur et de ses domestiques lorsque ceux-ci séjourneront à Marcoux, indiquant par là que les seigneurs fréquentent régulièrement le château, à garder en bon état les bâtiments, à bien irriguer les près, à bien nettoyer les « écluses » (dont celle du moulin de Marcoux ?) et les étangs, ne pas couper d'arbres ni défricher de bois sans l'accord du seigneur et à faire le moins de dommage possible lorsqu'il prendra son bois de chauffage dans le domaine. Enfin, il s'engage à ne faire aucune détérioration ni dégradation et à "se comporter en bon père de famille", selon la formule consacrée. En échange de tout cela le seigneur promet "de faire jouir paisiblement ledit Charroin de l'effet des présentes", c'est-à-dire de le laisser gérer à sa guise le domaine. Ce contrat, rédigé par un notaire royal, est signé au château de l'Hermuzières en présence du curé et du granger du lieu.

Finalement Charroin s'est montré beaucoup moins fiable que ne l'espérait Imbert Bernardin. Louis Bernardin, son héritier, engage une procédure judiciaire contre son granger (par l'intermédiaire de son « procureur », le notaire royal Vallette). Le 5 juillet 1751 il introduit une instance à la cour de Montregard, le 15 juillet le sergent va à Marcoux pour convoquer Charroin qui comparait le 3 août, le jugement est rendu au bénéfice du seigneur le 18 août. Voilà une procédure rondement menée qui laisse supposer une certaine résignation de la part de Charroin. Il est vrai que son attitude semble inexcusable : des 6000 livres de location il n'en a payé que les 500 premières et des 24 charrettes de paille il n'en a livré que 4, son retard pour le beurre et le fromage est beaucoup plus modeste. Finalement Charroin est condamné à payer 5663 livres (5500 de loyer plus 163 évalués pour la paille et le reste) et à 6 livres de dépends. On peut s'interroger sur les causes d'une telle défaillance de la part d'un granger en qui le seigneur avait entière confiance et qui en était à son deuxième bail. S'agit-il de mauvaises affaires ? Sur presque toute la durée du bail cela semble douteux. Ou alors Charroin a-t-il essayé de profiter de la situation créée par la mort d'Imbert de Lhermuzières vers 1750 ? Toujours est-il qu'on peut aussi trouver étonnant le retard avec lequel le seigneur a réagi à ces difficultés de paiement. Peut-être que l'éloignement ou des activités militaires expliquent une partie de ce délai ; la décision finale est en revanche rapide et efficace : à peine l'action a-t-elle été engagée en justice que le seigneur fait signer un bail par un autre preneur (dès le 19 juillet 1651), pour un prix légèrement supérieur (1 050 livres). François Meallier habitant à Montivert (à l'est de Marcoux) acceptant ces conditions, cela semble indiquer que les difficultés de paiement de Charroin ne sont pas imputables à une conjoncture économique générale défavorable.

 

 

L'importance du domaine de Marcoux pour les Lhermuzières au XVIIIe siècle

 

Les Lhermuzières sont généralement très soucieux de défendre leurs droits en Velay, malgré l'éloignement relatif et leurs activités militaires au service du roi. Ainsi, en 1715, Imbert Bernardin se lance-t-il dans un procès contre le seigneur de Montregard, Louis de Banne, pour usurpation de terre : de Banne ayant intégré à son domaine une terre que les Lhermuzières louaient à sa famille depuis 1633 du côté de la grange de Meynard. Imbert cite le cadastre de 1612 pour prouver son bon droit, tandis que de Banne lui oppose, avec une certaine mauvaise foi, "les temps immémoriaux bien avant le cadastre". Il est vrai que ce bien constitue une source non négligeable de revenus, une des bonnes terres de 1612. Quelques années plus tard, après l'épuisement des divers recours et appels, le seigneur de Montregard se voit finalement obligé de verser 800 livres au seigneur de Lhermuzières, aussi redoutable plaideur que ses ancêtres ; ses qualités de procédurier sont du reste reconnues dans la région de Satillieu : en 1699-1700, les habitants de St Symphorien-de-Mahun le choisissent comme syndic pour mener un procès au Parlement de Toulouse contre le marquis de Satillieu.

 

Si le combat précédent relève davantage de la traditionnelle querelle de bornage, un des classiques judiciaires du monde rural, l'affrontement autour du moulin s'inscrit plus dans le cadre des évolutions et réactions économiques et sociales du XVIIIe siècle (on pourrait presque le relier à la fameuse « réaction seigneuriale » n'eut été sa date un peu précoce). La gestion du moulin de Marcoux est assez mal connue, il a été soit géré directement par le granger, soit affermé à un meunier. Même si le seul cas de meunier, identifié dans les archives, ne date que de 1767, on pencherait plutôt pour cette solution, car les contrats de fermage omettent toute référence à cet instrument essentiel des habituels revenus seigneuriaux. L'action engagée par Imbert Bernardin, en 1730, confirme en tout cas son intérêt. Cette année-là, le seigneur de Lhermuzières apporte son entier soutien à un couple (Jean Viricel et Marie de Fours) condamné par le tribunal de Montregard à 5 livres 18 sols pour ne pas avoir respecter la "banalité" (monopole) des moulins, affermée à Jean et Charles de Losmes par les co-seigneurs de Montregard ; le couple était accusé d'avoir utilisé le moulin de Mercoux pour moudre son seigle au lieu d'user de celui desdits seigneurs. Imbert de Lhermuzières s'estime sérieusement menacé dans ses intérêts par une telle décision qui "causerait grand préjudice à son moulin de Mercoux", et affirme que "lesdits co-seigneurs de Montregard ont perdu leur droit de banalité supposé qu'ils en eussent un par le laps de plus de 100 ans dont ils n'ont fait que 30" et "que ledit moulin de Mercoux a toujours moût pour tous les voisins" (il est déjà cité dans le terrier de 1556) ; il prend donc fait et cause pour les condamnés et en appelle à la cour de la sénéchaussée du Puy (un certain Jean André Barthélémy étant son "procureur" sur place) ; les meuniers "officiels" mis en cause ont sûrement été soutenus par les seigneurs de Montregard, dont le plus actif était Louis de Banne de Boissy.

 

En 1763, la valeur du domaine, formé d'une "grande maison, grange, écurie, prés, terres et bois" est estimée à 23 000 livres. A titre de comparaison, à la même époque, les Lhermuzières vendent deux autres domaines, objets de diverses actions en justice dans le passé : celui de la Suchère près du Chambon s/Lignon cédé pour 7 000 livres et celui de Meynard, alors séparé de celui de Marcoux et très réduit, vendu à Simon Maurin procureur d'office de Montregard pour 8 400 livres (ce qui situait l'ensemble Marcoux &endash; Meynard à plus de 30 000 livres et plus de 40 000 si l'on inclut l'ancien domaine de Merlat). A proximité de Meynard, le domaine ancestral de Girodon est vendu par l'héritier des La Franchière 14 000 livres (en 1612 il payait pourtant un impôt deux fois plus élevé que celui de Marcoux aux seigneurs de Montregard), tandis que l'imposant château de Besset et son domaine (où a vécu Marguerite de Marcoux au début du XVIe siècle) sont cédés pour 25 000 livres par les Allouès de La Fayette. Ces quelques chiffres donnent une idée de l'importance relative du domaine de Marcoux dans la seconde moitié du XVIIIe, malgré les nombreuses amputations dont il fut l'objet depuis 1633, et expliquent l'attachement des Lhermuzières à celui-ci.

Les rôles de tailles des années 1688 (88 livres), 1713 (158) et 1731 (129) situent les Lhermuzières parmi les quatre plus gros contribuables du mandement aux côtés du seigneur de Montregard (de Banne : 102, 309 et 279 livres), de celui de Girodon (La Franchière et leurs héritiers : 98, 170 et 142) et de celui de Merlat (de Baud et leurs héritiers de Banne aux Maisonnettes : 107, 168 et 141). L'estime des biens nobles de 1691 place le seigneur de Marcoux, avec 200 livres de revenus « nobles », au deuxième rang derrière Annet de Banne, seigneur de Montregard (260 livres) et loin devant le seigneur de Merlat (40 livres), celui de Girodon ne figure pas dans la liste. Si on ajoute aux biens du seigneur de Marcoux ceux du seigneur de Merlat, on a une idée de l'importance du fief de Marcoux au tout début du XVII ème siècle, avant les cessions aux héritiers de Fleury de Baud. De plus il ne faut pas oublier que les Lhermuzières sont aussi largement possessionnés dans le Vivarais proche.

 

 

Des Lhermuzières aux Chave et retour (1763-1808)

 

Après 180 ans dans la famille des Lhermuzières, Marcoux passe provisoirement à celle des Chave de la Chava, baron d'Ay, le 20 août 1763. Cette famille hérite du domaine à la suite du décès de l'aîné des Lhermuzières, Louis Bernardin. On peut noter que Louis Bernardin laisse deux enfants naturels auxquels est attribué le patronyme de "Marcoux" (un garçon et une fille, Victoire), peut-être y sont-ils nés et y ont-ils été élevés loin de l'Hermuzière. A la mort de son oncle, Alexandre-Bernardin de Chave (âgé de 14-15 ans) reçoit alors les propriétés de Marcoux et de l'Hermuzière comme part des biens lui revenant de sa mère Catherine de Lhermuzières, mariée à Alexandre de Chave en 1747 et décédée en 1749. Marcoux reste donc aux mains de propriétaires ardéchois éloignés et son mode de gestion n'a sans doute pas changé. Alexandre Bernardin de Chave partage sa résidence entre le château du Plantier qu'il a fait rénover (environs de St Romain d'Ay) et son hôtel de Satillieu, il a sans doute peu fréquenté Marcoux. On découvre à cette occasion un certain Jacques Peyrache, "meunier du moulin de Mercoux", qui afferme en 1767 la "scierie de Boissy aux Maisonnettes".

 

Cette « parenthèse » dure 42 ans, puis le 21 décembre 1804, Alexandre-Bernardin de Chave désigne son autre oncle maternel, Pierre-Bernardin de Lhermuzières, comme héritier du domaine et du château de Marcoux, qui reviennent ainsi dans le giron des Lhermuzières en 1805. Le nouveau propriétaire, âgé d'environ 80 ans et vivant à Montélimar, charge son ancien compagnon d'armes, le général Louis Régis de Boissy de Banne, de s'occuper des questions matérielles concernant Marcoux ; à sa mort il lui lègue 10 000 francs à prendre sur la vente de Marcoux. En 1805, l'ensemble est évalué à 40 000 francs, peu de temps auparavant les 3 domaines du général de Boissy, lointain descendant de Louise de Romezin et dont les domaines venaient des Baud de Mercoux, avaient été adjugés pour 37 000 franc : Maisonnettes 12 800, Franc 13 400 et Merlat 10 800, autant de terres qui avaient été rassemblées par Fleury de Baud de Mercoux vers 1590. 

SUITE : MARCOUX, RESIDENCE DE LA BOURGEOISIE RURALE (1812-1905)