en Velay-Vivarais
Exposition du musée des Arts et Traditions Populaires de Saint-Didier en Velay.
EMPIRISME ETHNOLOGIQUE ET RATIONALITÉ
MUSÉOLOGIQUE :
LA DOUBLE IMPOSTURE
Cette exposition, dénuée de prétention intellectuelle, n'entend pas dépasser le stade empirique du regard. Au demeurant, les musées ou expositions qui affichent de telles ambitions sèment la confusion dans les esprits sans parvenir à cultiver ce sens pédagogique de l'observation qui passe à la fois par les "qualités sensibles" de Descartes et par l'objet, support incontournable dans lequel se cristallise au plus haut degré le mode de vie global d'une société.
L'évocation du bestiaire campagnard se justifie non seule-ment par la double fonction, technique et symbolique, de l'animal mais aussi par l'essence même de la mythologie admirablement définie par Lévi-Strauss comme le moment où l'homme et l'animal étaient confondus. D'ailleurs l'étude scientifique de l'animal est tardive : acquis de la Révolution, elle est créée par un décret de 1790. Cuvier, dont le pro-fesseur Dagognet dit qu'il a célébré l'animalité, donnera ses lettres de noblesse à la nouvelle discipline en édifiant un véritable système qui substitue à la collection stérile des descriptions le déroulement d'une logique d'implications et de disjonctions. Geoffroy Saint-Hilaire, ce Nietzsche de la biologie selon Michel Foucault, ira plus loin encore et , reprenant la théorie leibnizienne de "la série continue des êtres", il oppose aux 4 embranchements de Cuvier, la "série unique : "Il n'y avait dans l'Arche de Noë qu'un seul animal" déclare le zoologiste qui montre que l'insecte est bâti sur le même plan que le vertébré le plus évolué ; l'insecte n'est pas sans vertèbre mais à l'intérieur d'une vertèbre, intravertébré davantage qu'invertébré.
Quel rapport peut-il exister entre la positivité d'un Cuvier ou d'un Geoffroy Saint-Hilaire et le caractère "métaphysique" (au sens d'Auguste Comte) des conceptions populaires ? En effet, recueillir ces formes archaïques, sous le couvert (ou le prétexte) de la sauvegarde du patrimoine folklorique, n'est-ce pas retomber dans l'ornière scolastique ou sombrer dans l'illusion muséographique nue François Dagognet qualifie de "foire aux idées" ? Surtout ce voyage dans l'absurde ne nous conduit-il pas à légitimer une pensée délirante que Geoffroy Saint-Hilaire avait d'emblée posée comme obstacle épistémologique : "J'ai eu beaucoup de peine à convaincre Joséphine que cela ne venait pas du fait qu'elle avait vu un mendiant hideux si son enfant était podencéphale". De fait, aux formes magiques de la connaissance sensible, aux zoopsies maléfiques, au regard diabolique de la salamandre, aux cauchemars animalesques et autres fantasmes psycho-pathologiques de la mère auxquels la croyance populaire attribue les différentes caractérisations de l'animalité (enfants à la peau recouverte d'écailles ou à bec de lièvre, etc.), Cuvier oppose, en disciple de Descartes, l'espace et le mouvement : les malformations et autres difformités ne s'expliquent pas psychologiouement mais géométriquement parce qu'une partie de l'embryon est resté attaché au placenta maternel et n'a pu participer à I'organo-génèse.
A cette objection, tellement fondée, nous répondrons que tout "état métaphysique" contient une Port de positivité et qu'il incombe au chercheur de la dévoiler. Effectivement, il serait facile de trouver dans les formes symboliques populaires des intuitions de la série unique chère à Geoffroy Saint-Hilaire puisque la mythologie, même sous les formes altérées dont nous disposons, conçoit le monde comme totalité. Les dénominations animalières illustrent aussi bien l'assimilation homme-animal (libellule = faucheur ; moucherons = scieurs de long ; punaise = curé, etc) que les relations inter-animalières (salamandre = gonfle-boeuf ; putois = chat péteur, etc). Quant à la mythologie populaire de la dent, dont Françoise Loux a mis en exergue les rituels et les significations inhérents à "l'animalité farouche qui sommeille en l'homme", elle apparaît comme l'anticipation magique des fécondes théories de Cuvier capable de reconstituer l'animal à partir de la dent, seule relique fossile privilégiée par la révolution géologique. Aux corrélations anthropomorphiques (enfants à la dentition-canine ou porcine, lycanthropes à la machoire formidable, etc), Cuvier oppose les corrélations logiques capables d'inventer le monde tel qu'il est : la dent permet de rebâtir l'animal dans sa totalité puisque les "systèmes" alimentaire, digestif et locomoteur s'imbriquent les uns dans les autres.
Mais notre étude n'est pas celle du zoologiste ou du botaniste. Le rejet préalable de tous les termes du vocable traditionnel, de toutes les caractérisations obscures (du genre "pied d'alouette", queue de renard", "dent de lion", etc) opéré par Linné le montre bien puisque ces dénominations constituent la substance même de notre travail. Toutefois il ne faut pas en rester à ce que ces "monstres terminologiques" montrent semblablement à ces prodiges de la nature, "idiotes lippues", "hébétés", qui déambulaient dans les villages. Il ne faut pas davantage multiplier les enquêtes et "collectionner" les informations qui ajoutent, à l'empirisme des matériaux, l'empirisme d'une démarche sans finalité et sans fin. Il convient de traiter ces informations en mettant en exergue leurs implications et leurs disjonctions et promouvoir une logique de l'ordination et de la disposition.
La conduite d'une telle entreprise requiert, selon nous, une approche phénoménologique : il faut décrire ce qui apparaît sans jamais perdre de vue le problème des essences. Si François Laplantine a bien raison de dénoncer "la hantise des origines", ce rejet ne rend que plus nécessaire la quête du fondement. Rappelons les exemples de Port-Royal qui, à partir des grammaires particulières, compose une grammaire générale ou de Leibniz dépassant le droit existant pour concevoir une jurisprudence universelle. L'ethnologie doit s'inspirer de ces exemples pour substituer au psychologisme des sources l'équivalent de ce que Charles Serrus appelle "l'invariant universel".
Cet invariant universel Lévi-Strauss l'a recherché en opérant une distanciation (ou détour) par la distance dans son appréhension des mythologies lointaines car les productions humaines sont plus complexes que les productions de la nature et par conséquent plus difficiles à classer, la constitution de la rationalité pratique, postérieurement à la rationalité théorique, le montre bien. Mais si ce détour initial paraît bien nécessaire, la démarche de René Girard revenant à la tradition chrétienne nous semble fondée. En effet, postuler que l'étude des formes symboliques, considérées comme structures fondamentales, ne s'adresse qu'à des peuplades lointaines, c'est peut-être, après la dénonciation d'un prétendu "primitivisme", infliger une seconde blessure à ces "frères humains". Les Stoïciens nous l'ont bien dit, ce n'est pas de pays qu'il faut changer mais d'âme.
ACTIVITÉS DEPRÉDATIVES : LA CHASSE ET LA PECHE
Deux activités déprédatives, la chasse et la pêche, concernent le règne animal et de ce fait autorisent une description.
La chasse
Pratiquée par tous les paysans, cette activité à fonction défensive ou alimentaire fait appel aux procédés les plus divers.
Fonction défensive, la chasse fait d'emblée penser aux mémorables battues aux loups dont on trouve, dans nos campagnes, certaines relations manuscrites datant de la fin du siècle dernier. S'il n'a pas recours aux sophistications des drogues complexes, des crochets meurtriers ou des pièges à arbalète, le paysan utilise toute une panoplie de pièges forgés par le maréchal du village ou, à partir de la fin du siècle précédent, achetés à la Manufacture de Saint-Etienne. Le Musée de Saint-Didier possède trois pièges de dimension très exceptionnelle qui sont autant de témoignages de la peur ancestrale que les loups exerçaient dans la mentalité populaire et que pérennisaient à volonté les histoires des veillades. D'autres animaux, chiens enragés, sangliers et renards dévastateurs des champs de pommes de terre et des poulaillers font l'objet d'une traque impitoyable.
Piège à loups, provenance Saugues (L = 1,10m ; l = 0,60m) et Fourchette à loups, provenance du Monastier (L = 1,80m), Musée des arts et traditions populaire, St Didier en Velay.
D'autres animaux, moins dangereux, peuvent néanmoins être classés dans la catégorie des "nuisibles", tout au moins du point de vue de l'agriculteur : les taupes qui dévastent les champs et les rats qui s'attaquent au grain. De fait, pièges à taupes, en fer ou en bronze, et ratières, à ressort ou à assommoir, complètent la panoplie domestique des armes défensives.
Plusieurs armes défensives méritent d'être citées : la canne-épée ou la canne-poignard qui rassure le paysan lorsque, les jours de foire, il rentre nuitamment à la ferme. Il en va de même de la canne-fourchette décrite par Henri Pourrat et dont il possédait un exemplaire : "Ce Jean Chartoire avait en main une trique ferrée, un de ces gourdins d'épine à virole de fer où l'on vissait une massive fourchette à deux dents quand il y avait des chiens enragés dans le pays". L'existence de fourches à loups dont on trouve des modèles au Musée Crozatier du Puy et au Musée de Saint-Didier s'explique peut-être par la crainte que les multiples versions de la Bête du Gévaudan avait fait naître dans les esprits. Enfin, une vrille en fer montée sur un long manche et provenant de la région du Monastier permettait de débusquer les blaireaux.
Cage à écureuil
Fonction alimentaire, l'activité cynégétique diversifie ses procédés à l'extrême. Si les pièges à loups ou à renards sont souvent utilisés pour d'autres raisons que défensives, des pièges en fer peuvent être conçus pour une chasse spécifique comme le piège à loutres exposé au Musée de Riom. Des pièges en bois permettent la capture de putois tandis que la boîte à furet rappelle l'utilisation de cette variété albinos de putois dans la chasse aux lapins de garenne. Le petit musée de la Jasserie du Coq Noir près de Pierre-sur-Haute possède un rare piège à la sauvagine en terre cuite et daté 1755. Mentionnons également le miroir à alouettes, les nombreux appeaux ou sifflets pour la perdrix ou la caille ainsi que les appelants, animaux vivants ou fac-similés permettant la capture des oiseaux les plus divers ; l'appelant est souvent placé dans une cage en osier, comme la nasse à friquets, que l'on dépose sur une meule de paille. Dans une intéressante monographie, Jean Chataing décrit deux autres procédés : l'assommoir dont le principe rappelle celui de certaines ratières, et qui a pour but de faire tomber une lourde pierre sur les grives au moyen d'un ingénieux système de bâtonnets (procédé également décrit par Pierre Noton qui signale la présence de graines de genévrier judicieusement placées pour attirer les grives) ; autre piège à grives, le "cérène", baguette de noisetier recourbée en forme d'ovale et garni de collets en crins de cheval.
Assommoir
Bien entendu, dès que le paysan a pu se procurer une arme à feu, il en a fait usage en particulier pour abattre le gibier à fourrure qui donnait lieu à de substantielles ventes lors des foires à la sauvagine. La gibecière et la corne ou poire à poudre complètent l'attirail du chasseur. Toutefois, les réglementations en matière de chasse, contraignantes par suite de nombreuses interdictions et de privilèges hérités du droit féodal, incitaient le paysan à se transformer en braconnier. L'arme utilisée, très classique dans sa marginalité, est composée d'une canne-pistolet et d'une crosse amovible que le braconnier visse sur le manche-crosse de la canne.
Dès lors le fusil se substitue avantageusement aux archaïques pièges à grives. Jean Chataing décrit précisément cette forme de chasse : "Lorsque les sorbiers se trouvent près des habitations et à portée de fusil, il suffit au chasseur d'entrouvrir la porte de la grange ou une fenêtre pour en abattre un certain nombre. Si les sorbiers se trouvent au contraire éloignés du village, on construit des huttes en branchages à distance voulue ; le chasseur va s'y poster à la pointe du jour et quand une volée de grives est posée sur l'arbre, il vise dans le tas et fait des hécatombes de ces oiseaux"
La pêche
Il s'agit d'une occupation plus importante que certains ouvrages d'ethnologie régionale le laissent croire dans la mesure où, eu égard à son caractère ludique, elle concerne tous les âges et vise aussi bien les poissons que les batraciens ou les crustacés.
La pêche à la truite s'effectue à l'aide des moyens les plus divers : main, massue, nasse, ligne, filet, foëne, fourchette. La pêche à la main que nombre de témoins avouent avoir pratiquée dans leur jeunesse requiert des eaux basses à l'instar de la pêche à la massue qui consiste à frapper vigoureusement avec une masse les grosses pierres sous lesquelles se réfugient les truites. Quant aux filets utilisés, ils ne manquent pas de variété : "grand verveux", "petit verveux", "four" servant à barrer la rivière et retenir le poisson prisonnier. Dans la région du Mont Gerbier-de-Jonc, la pêche à la truite se fait au moyen d'une petite nasse en osier de forme oblongue. Le jonc offre la flexibilité nécessaire à la confection d'une canne à pêche tandis que sont également utilisées la foëne ou la fourchette, dont Henri Pourrat signale l'usage dans la région d'Ambert, qui permettent d'harponner les truites.
Bien entendu, ces procédés illicites donnent lieu à des pêches nocturnes dites pêches au flambeau et dont Pierre Noton indique plusieurs procédés parmi lesquels nous retiendrons le flambeau de bois résineux, le flambeau de paille et la lanterne. A ce sujet, un ancien braconnier racontait, non sans nostalgie, de prolifiques pêches effectuées dans la Loire, à Aurec : la technique consistait à stabiliser la barque à un endroit choisi et à attirer le poisson à la lumière d'un falot avant de la harponner au moment propice.
Les nombreuses guinguettes, installées par exemple le long des rives de la Loire et où on servait la friture, incitaient les pêcheurs à utiliser l'épervier qui permettait la réalisation de pêches fructueuses dans un temps limité. Lucien Cabrolié a décrit la technique de lancement du grand filet : "Bien équilibré, à demi recouvert par ce grand filet qu'il tient sur l'épaule, sur le bras et entre ses dents, le lanceur fait un quart de tour sur lui-même : il déploie l'épervier qui tombe bien ouvert en rond sur le poisson surpris".
Des pièges divers étaient également employés pour la capture du menu poissons goujons et vairons : bouteilles en verre soufflé dont le fond est pourvu d'un orifice cylindrique ; nasses en osier de forme circulaire ou oblongue ; gireliers en osier et corde.
Relevons avec Jean Chataing une autre forme de pêche pratiquée par les garçons et les filles dans la vallée de l'Ance : "Armés d'une fourchette, ils soulèvent doucement chaque pierre du fond et piquent les "chabots", petits poissons à grosses têtes qui abondent dans l'Ance et sont très bons à manger".
Néanmoins la pêche la plus fameuse demeure celle du saumon qui constituait une nourriture tellement ordinaire que les valets la prenaient en dégoûtation. Pratiquée en particulier dans l'Allier cette pêche met également en jeu des procédés divers : large foëne aux dents espacées se terminant en pointes de flèche ; crochet monté sur un manche en bois ou sur une canne à plusieurs embouts ; puissante pointe de flèche terminant une courte hampe fixée sur une solide armature en fer forgé.
La pêche aux grenouilles se déroule durant le carême, "avant que les grenouilles ne se transforment en crapauds". Il s'agit d'abord d'attirer les batraciens et ensuite de les sortir de l'eau. Pierre Noton indique les moyens inhérents à chaque opération : on attire les grenouilles à l'aide d'une lanterne, de rubans rouges ou de pétales de coquelicot ; on les sort de l'eau à la main, avec des crochets ou un râteau. Si les râteaux utilisés sont d'ordinaire de simples râteaux à foin, un "râteau à grenouilles" particularisé par la dimension et le cintrage de la tête fut en usage à Sermoulis près de Medeyrolles.
Enfin, la pêche aux écrevisses nécessite l'emploi de balances autrefois confectionnées avec de l'osier et des cordes et que l'on appâte avec des résidus de viande. Jean Chataîng nous donne encore de précieux renseignements sur une autre manière de pêcher les écrevisses, pratiquée par les enfants de la vallée de l'Ance : "Ils coupent des branches de verne, de la grosseur du pouce, les fondent par le gros bout et introduisent dans la fente des grenouilles écorchées ou des tripes de mouton". Ces bâtons fendus, appelée "bêches", garnis de leurs amorces, sont placés inclinés sur le bord de la rivière ... Un quart d'heure après, le pêcheur se penche et voit plusieurs crustacés agrippés à l'appât. De la main gauche, il soulève doucement le bâton et de la main droite il glisse par-dessous une épuisette au fond de laquelle tombent les écrevisses".